« Le jour où je suis allée pour la première fois dans un stade, je devais avoir 14 ou 15 ans. Je m'en souviens très bien. C'était une atmosphère incroyable. Et à partir de ce moment-là, j'étais fascinée. » Amandine a aujourd’hui 31 ans et elle s’apprête à suivre, ce samedi 31 mai, la finale très attendue de Ligue des champions, qui oppose les clubs de football du PSG et de l’Inter Milan.

Quand Amandine raconte les premiers souvenirs de stade, on peut sentir l’émotion dans sa voix. « C'était l'année où Bordeaux a été sacré champion. Être dans un stade, peu importe le sport, c'est quelque chose qui me fait vibrer depuis. De voir la passion de tout le monde, de mes amis ou de mes proches, c'est quelque chose qui est hyper fédérateur. »

Aussi loin qu’elle se souvienne, Amandine a toujours eu le football dans sa vie. « Le foot, c’était mon sport dans la cour de récré. J'avais un ballon chez moi et je jouais avec mon voisin tout le temps. Ma passion est venue aussi de “Olive et Tom”. J'étais fascinée par ce dessin animé. » Pourtant, on lui a souvent demandé dans sa vie si sa passion venait de son père, de son frère ou de son compagnon. Car pour beaucoup, il est difficile de concevoir qu’une femme puisse aimer le football, sans arrière-pensées.

Les supportrices plus présentes depuis MeToo

Léa fait tous les déplacements en Ligue 2 et Europa League pour soutenir son club de Toulouse, le TFC. Elle reconnaît que la plupart des hommes qui l'entourent sont ravis de voir des femmes dans les tribunes, chanter et porter les drapeaux. « Mais nous pouvons tomber sur des exceptions qui disent qu’on y connaît rien ou qu’on s’y intéresse seulement pour “la beauté” des joueurs, mais heureusement ce n’est qu’une minorité. »

Le sociologue Nicolas Hourcade observe les supporters de football depuis plus de vingt ans. « Historiquement, pour toutes les supportrices, c'était très difficile de se dégager d'une figure masculine, explique-t-il. On était avec un homme, ou sinon, on était suspecté de venir pour des mauvaises raisons : draguer les joueurs, draguer les autres supporters. Il fallait toujours prouver qu'on était vraiment une amatrice de football, qu'on connaissait les règles, qu'on connaissait les joueurs, qu'on était passionné du club. Depuis la période post-MeToo, les supportrices assument leur passion. »

Selon ce spécialiste, le combat a été long pour que les femmes se fassent accepter dans le milieu du supportérisme. La pratique du sport - et du football en particulier - est depuis des siècles l’apanage des hommes. « La pratique féminine est arrivée au début du XXe siècle, mais elle s'est popularisée vraiment à partir des années 1970, et encore plus fortement ces derniers temps. » Nicolas Hourcade observe que cette féminisation du sport a eu des conséquences aussi sur le public. « Ce dernier, au départ, était masculin. Cependant, dès le début du football comme spectacle, soit dans les années 1920-1930, il y a des femmes étaient présentes dans les tribunes. »

Il y a quelques années encore, rappelle le sociologue, « des affiches faites par des supporters lyonnais disaient : “un homme va au stade et une femme à la cuisine” ». « C'est des choses qu'on entendait beaucoup dans les stades, ajoute-t-il. La place des hommes, c'est au stade, en tribune. Et puis les femmes, elles n'ont rien à faire là. Post-MeToo, ce discours choque. Il y a des joueuses de football qui ont dit : “Ce n’est pas acceptable.” »

Communication rose et maquillage à paillette

Les jeunes filles suivent l’exemple des footballeuses et sont de plus en plus à pratiquer. Elles étaient moins de 2,5 % des licenciées de la fédération française de football en 2012 et sont aujourd’hui plus de 10 %. Une fois sur les terrains, elles se rendent aussi dans les stades mais cette fois en tribune. Amandine en est la première témoin : « Entre la période ado où j'allais voir des matchs à Bordeaux et celle de Paris aujourd'hui je trouve que ça s'est popularisé davantage. Les femmes sont plus nombreuses dans les stades ou même pour regarder les matchs. J'ai rencontré de plus en plus de filles qui s'intéressaient et supportaient le PSG. »

Clément est supporter du club parisien depuis plus de dix ans. Il suit les matchs depuis le virage Auteuil, tribune dans laquelle les supporters ultras sont engagés. « Dans les déplacements, dans la création d’un tifo (un mot venant de l’italien désignant les animations visuelles organisées par les supporters dans les stades, N.D.L.R.), il y a des filles qui sont présentes. Et dans les tribunes aussi mais c’est vrai qu’elles ne sont vraiment pas nombreuses. »

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Les politiques des clubs sont à l’ouverture d’après Nicolas Hourcade. Avec des actions qui restent parfois dans le cliché. « Les services des clubs ont créé des communications en rose ou alors des événements en tribunes, avec des activités maquillage », note le sociologue. Le virage Auteuil au Parc des Princes à Paris, souvent considéré comme l’un des plus ouverts d’Europe sur les questions de diversité et de représentation des minorités, ne donne pas pour autant la priorité à l’accueil des femmes. « Ce n’est pas fermé aux femmes mais ce n’est pas non plus une priorité », précise Nicolas Hourcade.

Fini les clichés ?

En revanche, c’est en coulisses que les choses évoluent. Nicolas Hourcade l’observe : « le référent supporter du PSG (le salarié du club qui s'occupe de la relation entre le club et ses supporters), il y en a deux, dont une qui est une femme. C’est intéressant, ça veut dire qu'il y a des femmes qui sont considérées comme faisant vraiment partie du public. »

Le changement pourra aussi s’opérer sur les terrains. Le 19 mai dernier, le club de football féminin de Lyon a annoncé dans ELLE son nouveau nom « Les Lyonnes ». Cette nouvelle appellation veut mettre en avant l’identité féminine sans être tout le temps associée à leurs homologues masculins. À cela s’ajoute une décision novatrice : elles joueront dans le Groupama Stadium. Les Lyonnes deviennent ainsi le premier club européen à établir son domicile permanent dans un stade, jusqu’ici réservé au football masculin.

De quoi inspirer chacune à prendre une place en tribune à l’instar d’Amandine : « Certaines femmes pourraient vraiment s'y intéresser. C’est encore trop souvent un cliché du foot qui est affiché : un truc de mec qui regarde le match entre copains avec des bières et qui insulte tout le monde. En fait, c'est bien plus que ça. »