Troisième écrivain ayant vendu le plus de livres dans l’Hexagone en 2021, derrière Guillaume Musso et Virginie Grimaldi, l’ex-ingénieur en nouvelles technologies Franck Thilliez est, sans conteste, devenu l’auteur de polars préféré des Français. Tout heureux de voir « Le Syndrome E », son huitième roman, adapté en série télé pour TF1 (les deux premiers épisodes seront diffusés ce jeudi 29 septembre à 21h10), l’écrivain a accepté de répondre à nos questions. Rencontre avec un homme de lettres, éperdument amoureux du petit écran.  

 

ELLE. Cela faisait très longtemps que vous attendiez une adaptation de « Syndrome E »…  

 

Franck Thilliez. En effet… Juste après la publication du roman, en 2010, la Paramount, aux États-Unis, a racheté les droits. C’était à l’époque un gros projet pour eux, ils avaient même écrit un scénario. Et puis, je ne sais pas vraiment pourquoi, ils ont peu à peu laissé tomber… Au bout de quatre ans, les droits du livre sont revenus en France. C’est à ce moment-là que Sophie Révil (productrice ayant notamment travaillé sur le feuilleton « Les Petits Meurtres d'Agatha Christie », ndlr) est venue me voir en me disant qu’elle voulait transformer « Le Syndrome E » en série. L’idée m’a plu tout de suite, alors je lui ai donné mon accord. 

 

ELLE. Vous êtes-vous investi dans le projet au départ ? 

 

F.T. Oui. Mais au bout de quelques mois, j’ai plus ou moins décidé de quitter le navire…J’étais, je dois l’avouer, un peu lassé d’essuyer tous ces refus de la part des chaînes de télé. Alors j’ai fini par retourner écrire mes livres. Sophie Révil, de son côté, n’a jamais abandonné. Elle a bien fait, parce qu’elle a fini par convaincre TF1, cinq ans et demi après avoir acquis les droits du roman. Quand j’ai appris la bonne nouvelle, on m’a rappelé pour me confier un rôle de consultant. J’ai relu les scénarios de tous les épisodes pour voir si tout fonctionnait bien, s’il n’y avait pas d’incohérences. J’ai aussi aidé les acteurs à comprendre qui étaient vraiment leurs personnages. 

 

ELLE. Les écrivains sont-ils à chaque fois invités à s’impliquer dans le processus de production ?  

 

F.T. Non, c’est très inhabituel. En général, les producteurs n’aiment pas que les auteurs mettent leur nez dans leur travail. Parce que certains de mes confrères écrivains peuvent se révéler… rigides. Beaucoup ne veulent pas que les scénaristes de la série prennent des libertés par rapport au texte original. Ils ne veulent rien changer… Moi, les producteurs m’aiment bien, parce que je sais ce que c’est d’écrire des scénarios (il a créé la série « Alex Hugo », l’adaptation d’un roman américain, ndlr). Les ajustements et les modifications ne me posent pas de problèmes particuliers. Je suis capable de lâcher du lest, tant que l’on respecte mon univers, que l’on garde l’idée principale du livre et que l’on ne dénature pas trop mes personnages. 

 

ELLE. Avez-vous eu certaines réserves quand vous avez appris que la série « Syndrome E » allait être diffusée par TF1 ? 

 

F.T. Quand elle adapte un roman en série télé ou en téléfilm, TF1 a tendance à adoucir les choses, à injecter un peu d’humour, un peu d’amour, un peu de lumière, pour ne pas choquer les téléspectateurs sensibles. Alors, oui, j’ai eu un peu peur au début. Je ne voulais pas que la chaîne aseptise « Le Syndrome E ». Parce qu’il s’agit d’un roman très noir, très cru, avec des personnages principaux (l’inspectrice Lucie Henebelle et le commissaire Franck Sharko, ndlr) dysfonctionnels et torturés… Sophie Révil m’a très vite rassuré en me disant : « Ne t’inquiète pas, on va préserver ton univers. » Et même s’il y a quelques petits passages « grand public », je trouve vraiment qu’elle a réussi à tenir sa promesse. 

 

ELLE. Y a-t-il quand même quelques différences entre le roman et la série qui vous ont perturbé ? 

 

F.T. Dans mon livre, Lucie Henebelle est maman de petites jumelles… J’avoue que cela m’a un peu surpris quand on m’a dit qu’elles allaient disparaître dans la série pour être remplacées par un seul et unique fils. Mais bon, comme je vous disais, j’ai des notions de production, du coup j’ai vite compris le but de la manœuvre. Faire travailler un enfant sur un plateau de tournage c’est extrêmement compliqué administrativement, alors des jumelles, vous n’imaginez même pas la galère ! 

 

J’étais aussi étonné quand on m’a appris que Vincent Elbaz allait incarner Sharko… Je voyais Vincent comme un mec lumineux, marrant, à mille lieues de Sharko, qui est un commissaire bourru et taiseux. Mais franchement, à ma grande surprise, ça fonctionne très bien ! Vincent a eu l’intelligence de se muscler pour le rôle, de prendre en masse, du coup, ça colle parfaitement.  

 

ELLE. Comment ont réagi vos lecteurs les plus fidèles quand ils ont vu la série ?  

 

F.T. Ceux qui ont déjà vu la série en avant-première sur Salto sont, dans l’ensemble, assez perturbés. Contrairement à moi, ils n’arrivent pas à se détacher du livre. On m’a dit par exemple : « Lucie est blonde normalement, pourquoi est-elle brune dans la série ? » Ce genre de détail les braque... Ils aimeraient que le roman soit adapté de manière très fidèle, presque chapitre par chapitre, image par image. Mais cela ne fonctionne pas comme ça. 

 

ELLE. Qu’est-ce qui vous plaît autant dans cette adaptation ? 

 

F.T. Si j’ai accepté de faire la promotion de la série, c’est parce que j’estime que TF1 a produit une fiction de qualité. Depuis quelques années, cette chaîne n’arrête pas de franchir des paliers grâce à ses fictions. Ses séries sont plus sombres, plus réalistes, parlent de sujets touchy comme les violences faites aux femmes ou les disparitions d’enfants… C’est une bonne chose, parce que les téléspectateurs attendent qu’on leur parle de sujets qui les touchent vraiment. Ce que j’ai vraiment apprécié aussi, c’est que TF1 a mis les moyens financiers nécessaires pour ne pas produire quelque chose de cheap. Comme dans mon livre, les personnages de la série voyagent vraiment aux quatre coins du globe.  

 

ELLE. Anticipez-vous d’éventuelles adaptations de vos romans lorsque vous écrivez ?  

 

F.T. Non, pas du tout. Pour moi, ce qui prime, c’est d’abord et avant tout l’idée de base du roman. Je me fiche pas mal de savoir que l’histoire peut être transformée en série ou en film. Pour preuve : mon dernier livre, « Labyrinthes » (sorti en mai 2022, ndlr) est, je pense, très difficilement adaptable à l’écran… Après, il ne faut jamais dire jamais. On a longtemps dit que « Le Parfum », de Patrick Süskind, était un livre impossible à traduire en images avant que le réalisateur Tom Tykwer réussisse à le faire, en 2006.  

 

ELLE. Les adaptations de romans policiers en séries TV se multiplient depuis plusieurs années. Comment expliquez-vous cet engouement ?  

 

F.T. C’est vrai. Depuis deux ou trois ans, je me rends compte de l’intérêt croissant des producteurs de séries pour mes livres… Mes confrères auteurs, Bernard Minier et Olivier Norek, ont constaté la même chose. Comment expliquer cela ? Difficile à dire. Est-ce que c’est un phénomène de mode ? Je ne sais pas. Ce dont je suis sûr, c’est que le format série plaît de plus en plus au « grand public », et que les chaînes de télé cherchent du coup à diversifier leur offre. En tout cas, je peux vous assurer que les écrivains français sont ravis d’avoir des producteurs qui s’intéressent enfin à leur travail. Parce qu’il y a encore 15 ans, nous étions les « parents pauvres » du secteur du polar. Les lecteurs ne s’intéressaient pas à nous à l’époque, parce que tout le monde était obnubilé par les Américains et les Scandinaves. 

 

ELLE. Qu’est-ce qui a changé la donne ? 

 

F.T. Nous avons tous grandi avec « Lost » et « Prison Break », des séries complètement hallucinantes, complexes, différentes, loin, très loin même des feuilletons « à la papa » comme « Navarro » ou « Julie Lescaut »… Ces programmes nous ont beaucoup nourris, ils nous ont montré que l’on pouvait écrire des histoires audacieuses et originales, sans être ridicules. Les lecteurs aiment nos romans parce qu’ils sont osés et abordent des sujets contemporains, comme l’écologie ou la science.  

 

ELLE. Avez-vous d’autres romans en cours d’adaptation ? 

 

F.T. Il y a différents chantiers, tous sont en phase d’écriture. Comme pour « Syndrome E », la phase de production est très lente… Je peux vous dire que « Rêver » (2016), qui devait être à la base un film, a été repensé pour devenir une série. Nous réfléchissons aussi à une adaptation de « Il était deux fois » (2020). Affaire à suivre !