Sur le mur après les portiques de l'entrée, les portraits de trente salariés semblent observer le défilé des ouvriers au petit matin. Inscrite en caractères cyrilliques jaunes, la phrase « Aux employés de la mine morts au front pour défendre l'Ukraine contre les ennemis » surplombe les photos. Avant l'invasion russe de 2022, 3 400 personnes, dont 450 femmes, travaillaient dans cette mine de charbon de la région de Dnipro. Mais « les femmes ne descendaient pas, sauf parfois quand elles occupaient certains postes de géologues », précise Olexandr Vasylievch, ingénieur principal. Aujourd'hui, sur les 600 employées, 145 descendent au fond de la mine, pour combler en partie les postes des 700 hommes mobilisés depuis le début de la guerre.

« Je me sens à ma place ici »

Dès 7 heures du matin, Lilia Iurchenko se serre parmi ses collègues dans la cage de fer. D'un claquement sec, le portillon de l'ascenseur se referme devant ses bottes trop grandes. Par groupes de dix, les mineurs sont avalés dans l'étroit boyau vertical jusqu'à 300 mètres de profondeur. La bouche sombre de la galerie apparaît soudain dans la lumière des lampes frontales et crache un vent violent. Rouge aux lèvres, les mains parfaitement manucurées, Lilia rejoint son poste de travail. Depuis novembre 2023, cette Ukrainienne de 32 ans est machiniste dans cette mine à la lisière du Donbass. Un lieu traditionnellement réservé aux hommes. « C'est beaucoup de responsabilités. Je surveille les capteurs de méthane, je déclenche un tapis roulant de plusieurs kilomètres, et c'est toute la mine qui se met en marche ! » lâche-t-elle

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Dans les galeries souterraines, longues de plusieurs kilomètres, Lilia gagne son poste à bord d'un wagonnet. Avant la guerre, les femmes descendaient très rarement dans les mines. Ici, 145 salariées travaillent désormais « au fond ». © Philippe de Poulpiquet

Lilia fait partie de ces femmes qui ont répondu au manque de main-d'œuvre dans l'industrie minière après que l'entreprise privée DTEK a lancé son programme « Les femmes dans la mine ». Depuis 1971, le code du travail ukrainien leur interdisait certains secteurs d'activité jugés « difficiles ou dangereux ». Mais après l'invasion russe et la mobilisation massive des hommes, le président Zelensky a signé, le 15 mars 2022, un décret qui précise que « pendant la période de loi martiale, l'emploi des femmes est autorisé, avec leur consentement, à des travaux pénibles ou comportant des conditions de travail préjudiciables ou dangereuses, y compris des travaux souterrains ».

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Pour Rouslana, ce travail est une façon de participer à l'effort de guerre, mais aussi de fournir lumière et chaleur aux Ukrainiens. © Philippe de Poulpiquet

Quand le programme a été lancé, Rouslana Horianska a répondu à une annonce parue sur Internet. Avant la guerre, et durant seize ans, cette machiniste de 37 ans travaillait dans un salon de beauté comme manucure. « Maintenant je ne côtoie que des hommes. Je me sens à ma place ici, et surtout je participe à l'effort de guerre de mon pays. »

Sous son œil exercé, le tapis roulant régurgite le combustible fossile fraîchement extrait d'une galerie. « Le charbon, c'est la lumière. Je voulais aider nos hommes qui ont été mobilisés, je voulais apporter la chaleur et la lumière dans nos foyers », souffle-t-elle. Selon un cadre de l'administration, le charbon de ce bassin houiller alimente une grande partie des centrales électriques du pays.

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Sous l'impeccable manucure de Lilia, son masque à gaz. Un équipement indispensable à la sécurité, destiné à fournir trente minutes d'oxygène en cas d'émission de gaz de mine. © Philippe de Poulpiquet

« Je me sens utile et valorisée », ajoute Lilia, le visage taché de suie. Comme l'entreprise étend le nombre de postes accessibles aux femmes, elle a repris en parallèle des cours à l'université pour passer un master en exploitation minière. « Maintenant, j'ai un salaire, une couverture sociale, un vrai métier. Je ne vais pas m'arrêter là ! »

Même détermination chez Alona Koulo-kova : « Malgré les doutes, les réticences de mes fils et de mon mari, rien n'aurait pu m'empêcher d'y aller ! » Son aîné de 30 ans est aussi mineur, son cadet de 29 ans, lui, est soldat, envoyé sur le front de l'Est. Son mari, vétéran de la guerre de 2014, touche une petite pension. À 52 ans, elle n'avait pas d'autre choix que d'entrer à la mine. La sienne se trouve à 70 kilomètres du front. « Si les Russes prennent la ville de Pokrovsk, à 50 kilomètres, la mine fermera, elle sera inondée et les femmes seront les premières à partir », conclut-elle, le regard songeur, dans le wagonnet qui la ramène à la cage de fer pour rejoindre la surface. Aujourd'hui, toutes disent vouloir rester travailler à la mine. Même une fois la guerre terminée.