On n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace. Ni à Robbie Williams, presque 51 ans et trente-quatre ans de carrière au service d’une pop gonflée à l’hélium, à faire de sa vie un show permanent. Cheveux argentés à la Ray Liotta, costume ouvert sur un poitrail bronzé et tatoué, sourire aveuglant de blancheur, accent cockney revisité par des décennies de résidence californienne, la star mondiale nous accueille, le 13 décembre, dans une suite de l’hôtel Le Bristol, à Paris. 

Dans le couloir, un garde du corps veille en tripotant sa gourmette. Une caméra filme nos quinze minutes d’interview réglementaires, et les retransmet en direct sur une télé reliée à un casque, lui-même relié aux oreilles d’une attachée de presse qui épie donc toute notre conversation. Les aléas d’une célébrité XXL ? C’est l’un des thèmes de « Better Man », le biopic musical réalisé par Michael Gracey que Robbie Williams est venu présenter à la presse parisienne. 

Écrit au fil des sarcastiques conversations, très empreintes d’humour british, qu’il a eues avec le réalisateur (certaines ont même été gardées en voix off), « Better Man » est une bombe. Un feu d’artifice d’images numériques filmées à cent à l’heure, et une réflexion sur la grandeur et la décadence du métier de pop star. Avec une lucidité confondante, le chanteur ne cache rien : sa haine de soi, ses multiples addictions, ses comportements insupportables avec ses proches, ses pulsions suicidaires. 

Cash, Robbie ? « Je suis sur le spectre autistique, explique-t-il d’une voix grave. Je capte certains codes sociaux, mais je ne sais jamais ce qu’on est supposé dire ou ne pas dire sur soi-même. Ce que je dois avouer ou cacher concernant mes démons, mes faiblesses, mes mauvaises intentions, mes péchés. Je suis sans filtre et je n’éprouve pas de honte. Ou plutôt j’en éprouve lorsque je ne devrais pas et je n’ai pas honte lorsque je devrais. Mais ça m’est égal, car je ne désire pas être compris, mais aimé. » 

« Il fallait bien apporter quelque chose d’original »

La cerise sur le banana cake ? De la première à la dernière image du film, la pop star apparaît sous les traits d’un chimpanzé. Une créature numérique, façonnée à partir des traits et des expressions de Robbie, et incarnée par deux acteurs différents. Une idée originale, que dans certaines interviews pour la presse américaine il justifiait jusqu’alors en affirmant que l’industrie musicale transforme ses victimes en singes savants ou en robots. Mais ce jour-là, à Paris, l’auteur de « Feel » et d’« Angels » préfère nous envoyer bouler. « Tout le monde me demande : pourquoi le singe ?, s’énerve-t-il. En fait, il n’y a aucune raison, c’est juste pour faire parler. C’est un singe, parce que c’est un putain de singe, point final ! Je ne vais pas vous tenir la main pour vous expliquer. Les biopics sont tellement longs et ennuyeux en général qu’il fallait bien apporter quelque chose d’original. » 

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Image tirée du film « Better Man ». © BM_FF_1521

Si l’homme descend du singe, Robbie Williams fait mieux : il parvient à nous faire aimer ce turbulent chimpanzé, né en 1974 à Stoke-on-Trent, qui deviendra l’enfant terrible de la pop britannique. Dans cette ville industrielle du Staffordshire, la famille – une mère fleuriste, un père comédien, une grand-mère qui adore son petit-fils – vit modestement, jusqu’à ce que le couple se sépare. Robbie a alors 4 ans, et ne pardonne pas à son père, ce héros qui imite Sinatra en regardant The Rat Pack à la télé, de les abandonner. Un trauma initial qui le poursuivra toute sa vie. 

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Enrôlé à 17 ans dans Take That, le boys band le plus hot d’Angleterre, le jeune homme y rencontre la gloire et les disques d’or, mais aussi le rejet : le bad boy, fameux pour son attitude rebelle et ses sorties de route alcoolisées sur scène, est viré comme un malpropre au bout de cinq ans. Et fait scandale en rejoignant les frères Gallagher du groupe Oasis sur la scène du festival rock de Glastonbury. Fausse bonne idée pour l’artiste accro à l’alcool et aux substances diverses, qui prend seize kilos au passage et entame un cycle infernal de tournées suivies de soins intensifs ou de cures de désintoxication. 

« Avec la MDMA, j’avais l’amour inconditionnel, se confie-t-il aujourd’hui sans fard. Enfin, je ne veux pas dire qu’il faille en prendre, mais c’est ce que les gens recherchent en en prenant. Avec la cocaïne, comme je suis TDAH [trouble du déficit de l’attention, N.D.L.R], je réussissais pour la première fois à fixer mon attention. Malheureusement, les personnes comme moi, quand elles ressentent quelque chose avec la drogue, veulent tout le temps ressentir la même chose. Mais les substances qui anesthésient leur souffrance finissent par devenir la souffrance qui les anesthésie. » 

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Robbie Williams pour une projection de « Better Man » au Grand Rex, à Paris, le 13 décembre 2024. © Marc Piasecki/Getty Images via AFP

Côté vie privée, sa situation sentimentale n’est alors guère plus brillante : s’il tombe follement amoureux de Nicole Appleton, la chanteuse des All Saints, en 1997, leur histoire tourne court lorsque la jeune femme avorte, puis entame en 2000 une liaison avec… Liam Gallagher, d’Oasis. Commentaire ironique en voix off de Robbie Williams dans son biopic : « Nicole a toujours eu un goût très sûr pour les mecs. » De son côté, lui-même fait feu de tout bois en prêtant le flanc à des rumeurs de liaisons avec la moitié des stars féminines de la pop ou du cinéma (Melanie C et Geri Halliwell, des Spice Girls, Kylie Minogue, Nicole Kidman, Cameron Diaz, Lindsay Lohan…) Primate, mais aussi chaud lapin ?

« Vous ne pouvez pas rendre responsables les gens de choses qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils ne comprennent pas »

C’est pourtant l’amour, le vrai, qui va sauver Robbie Williams des chausse-trappes de la célébrité. Reconverti en chanteur de swing gominé à la Sinatra avec un album de reprises de classiques de jazz en 2001 et un passage mémorable au prestigieux Royal Albert Hall, à Londres, il rencontre l’actrice américaine Ayda Field et l’épouse en 2010. Ils ont quatre enfants et vivent à Los Angeles. Le début de l’apaisement pour l’ex-toxicomane qui se met au régime, au yoga et à la méditation. « J’ai aussi fait plusieurs thérapies, des cures de désintoxication, j’ai beaucoup lu et beaucoup réfléchi, assure-t-il. Il faut un certain temps pour guérir. Imaginer trouver la paix en une nuit après des années d’addictions est une complète illusion. Mais aujourd’hui, tout le travail intérieur que j’ai fait s’avère payant. J’éprouve de la joie en accomplissant des choses très simples. Et j’essaie de vivre l’instant présent. » 

Celui qui fait figure de pionnier de la « santé mentale » presque malgré lui n’en veut pourtant pas aux acteurs de l’industrie musicale de n’avoir pas su détecter son mal-être. « Vous ne pouvez pas rendre responsables les gens de choses qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils ne comprennent pas. À l’époque, on ne savait même pas ce que signifiait le terme de santé mentale, c’était aussi improbable que les ovnis ou le yéti ! Les gens n’avaient aucune compassion ni empathie. Et si je suis devenu un pionnier, c’est plus par nécessité de survie que par altruisme ou militantisme. » 

La tête brûlée de la pop britannique en pleine rédemption (et en préparation d’un nouvel album pour cette année) est-elle un « Better Man » aujourd’hui ? « Oui. Je cause moins de chaos autour de moi. J’ai quatre enfants. Je ne peux plus être téméraire et impulsif, ni ne compter que sur mon intelligence, mes ruses et mes diableries. J’ai des responsabilités. » Singe qui s’en dédit. 

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« Better Man ». © Presse

« Better Man », de Michael Gracey. En salle le 22 janvier.