« Tu sais qu’on a dû la désabonner de Netflix. À 15 heures, elle attaquait une série et à 22 heures, on la retrouvait scotchée devant son ordinateur, elle n’avait pas bougé de son canapé. » « Moi, la mienne, avant, elle me demandait si j’avais lu le nouveau livre de Chimamanda Ngozi Adichie, maintenant, elle me téléphone pour savoir ce que je pense de la fin de “ The White Lotus”. »
Quand les livres remplacent les écrans
De qui parle-t-on ? Non, il ne s’agit pas de nos filles, mais de nos mères, addicts à leurs écrans comme des ados, capables de dévorer quatre saisons de « Succession » en une semaine ! Papy ne fait plus de la résistance non plus, tel ce peintre renommé, 70 ans et des poussières, qui, lorsqu’il abandonne ses pinceaux, scrolle des heures sur son smartphone, rigole devant des pingouins à vélo ou se passionne pour des tutos de cuisine avec trois ingrédients seulement. « Bel-Ami » avait déjà été mis K.-O. par Minecraft chez les jeunes, voilà que la littérature se prend une droite de Netflix chez les plus vieux.
Les résultats de l’étude du Centre national du livre, parus en avril, sont alarmants : baisse du temps de lecture, augmentation du temps d’écran. Rien de neuf sauf que… ceux qui lisent le font moins souvent qu’avant : la part de lecture quotidienne baisse de quatre points, et chez les 50-64 ans, elle baisse même de quinze points !
Qui contrôle qui ?
On connaissait le contrôle parental, on va devoir inventer le contrôle filial. Planquer la tablette de nos parents ! Et envoyer les enfants en week-end chez leurs grands-parents avec de nouvelles recommandations : « Pas trop de TikTok, Mamie », « Mollo sur Candy Crush ! »
En Angleterre, une enquête (publiée par Kindred Squared en janvier) a montré qu’en 2024 28 % des enfants britanniques entrant dans l’équivalent de la petite section de maternelle ne savaient pas comment tenir un livre ! Mais dans quel sens on prend ce truc ? Tiens, la couverture n’est pas tactile ? En matière d’incitation à la lecture, l’exemplarité est reine. Si nous rejetons ne voient pas de vraies personnes tourner les pages d’un vrai livre en papier, c’est la fin de l’édition, et la fin de l’imagination.
Lire, un acte de résistance ?
Parce que lire, c’est lutter contre un futur écrit à l’avance – comme le dit magnifiquement l’auteur du « Mage du Kremlin » et de « L’Heure des prédateurs », Giuliano da Empoli : « Annoncer l’avenir est toujours un acte de pouvoir mais imaginer des futurs alternatifs sera toujours un acte de liberté. » Ce serait dommage de s’en priver.