« La honte et le danger pèsent, et l’amicale des malades mentaux a appris à se la fermer », constate Nicolas Demorand dans son petit livre noir, « Intérieur nuit » (éd. Les Arènes). Aujourd’hui, au contraire, il a décidé de l’ouvrir, d’affirmer sans ambages : « Je suis un malade mental. » Le récit de sa bipolarité bouleverse, sidère ; il est rare de voir une personnalité publique aussi connue – il anime la matinale de France Inter avec Léa Salamé – se montrer ainsi, à terre. Rompu. Vaincu. Enfermé dans le silence et la solitude, allongé pendant des jours, voire des semaines, sur un canapé jusqu’à trouver la mort séduisante – elle sonnerait le glas de la souffrance.
S’affranchir du prisme de la performance
Et les up sont pires que les down : « Pour un bipolaire, “être heureux est dangereux”, selon la formule terrible et magnifique du peintre Gérard Garouste. » Car plus violente sera la rechute. Le roi de la matinale est nu. Il n’est pas fou, il est malade. Pour que les choses changent et que les consciences évoluent, les sujets aussi tabous et douloureux ont besoin d’être incarnés. Ainsi, avec « La Familia grande », Camille Kouchner a déclenché un #MeToo de l’inceste extraordinaire. Gageons et espérons que, en abordant de manière aussi personnelle et frontale la souffrance psychique, Nicolas Demorand provoquera un #MeToo de la maladie mentale.
Que ceux qui endurent en silence puissent dire : moi aussi. Qu’ils puissent sortir de la dissimulation et de la honte sans entendre ce cortège de petites phrases dégueulasses et culpabilisantes : secoue-toi, arrête de t’écouter, fais un effort – la volonté n’a rien à voir là-dedans. Qu’ils puissent être soignés correctement et dignement.
Au-delà du problème de santé publique, du manque effarant de moyens, la question qui se pose est aussi : quel regard portons-nous sur les fragiles ? Sur les êtres vulnérables, différents, faillibles ? Les considérer avec bienveillance, sans le prisme de la performance, des conventions sociales qui chérissent la force et la puissance, serait déjà une victoire pour eux. Une victoire pour nous.
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