Décédé le 23 janvier 2022, Manfred Thierry Mugler a marqué le monde de la mode mais aussi celui de la parfumerie. Le parfum Angel figure, plus de 30 ans après sa création, parmi les meilleures ventes des parfums en France. Pourtant, ses débuts n’ont pas été de tout repos. Alors que le styliste souhaite lancer son premier parfum avec le groupe français de cosmétiques Clarins (ndlr : depuis, Mugler a été racheté par L’Oréal) et Vera Strubi qui devient présidente de Thierry Mugler Parfums, son ambition se voit réfrénée par de nombreuses contraintes techniques. Sandrine Groslier, Global President Mugler Mode & Parfums, nous raconte les débuts de son lancement : « Manfred voulait un parfum qui soit le reflet total de son univers. Un univers fait de codes, de couleurs et d’énergie extrêmement forts. Il voulait quelque chose qui casse les codes et qui en même temps donnerait beaucoup de pouvoir aux femmes qui le portent. » À une époque où les fragrances sont très fraîches, très légères, influencées par les tendances américaines du début des années 90, le créateur se démarque en optant pour un parfum sensuel, animal, oriental, gourmand signé Olivier Cresp. Mais il aura fallu plus de 600 essais avant de trouver le parfum parfait. À ce propos, Manfred Thierry Mugler déclarait : « J’ai toujours voulu faire un parfum qui pourrait avoir une résonance commune à tout le monde, quelque chose proche de la tendresse, de l’enfance. J’avais envie d’avoir un contact tellement sensuel avec ce parfum, que l’on a presque envie de manger la personne qu’on aime ». Avec ce jus mêlant patchouli et notes sucrées, il crée une véritable rupture olfactive. Depuis Angel, on ne compte plus les marques qui ont lancé leur parfum oriental gourmand ultra-sucré. Ayant une vision globale, il décide de révolutionner un objet : le flacon.
Les prémices d’un luxe écoresponsable
Pour réussir un design architectural, le créateur fait appel au sculpteur Jean-Jacques Urcun qui travaille avec lui sur tous ses bustiers pour la mode. Rapidement, l’étoile s’impose comme la forme idéale. Il faut dire qu’elle est le symbole de Mugler, nous explique Sandrine Groslier : « Il la portait en bague, en tatouage et on la retrouve évidemment sur ses vêtements. Il décide alors de l’appeler Angel (« ange » en français), qui est par nature le messager des étoiles. » Seul hic ? Un flacon en étoile est une réelle difficulté technique pour les verriers. « C’était extrêmement complexe. Personne ne savait le faire ni en France ni à l’étranger. C’est finalement un ouvrier sur chaîne qui a trouvé la meilleure technique : Mugler a donc créé un nouveau moule rotatif. Mais le flacon étant très complexe à réaliser, même une fois le moule trouvé, il restait extrêmement cher. L’idée de Manfred a alors été de s’inspirer de la parfumerie du passé et des fontaines à parfum pour créer un parfum rechargeable à la source. Aujourd’hui encore, un flacon est rempli à la fontaine toutes les 25 secondes. » À une période où l’on ne parle pas encore de développement durable, Manfred Thierry Mugler invente la parfumerie responsable.
Il propose également un jus bleu qui représente son univers cosmique, froid. Une couleur qui contraste totalement avec la senteur chaude, gourmande, orientale et qui était, au début des années 90, plus que surprenante pour un parfum de femme.
Avant les réseaux sociaux, le contact client
« Il a pris des risques à tous les niveaux. Ça a été une telle audace sur le marché que les consommatrices ont saisi la justesse du message : un projet sincère, authentique mais qui avait la volonté de bousculer. Il voulait créer une connexion particulière avec les femmes qui portaient son parfum. » Mugler invente le « cercle Angel » afin de créer un échange avec ses clientes. Un programme de fidélité avant l’heure. À l’intérieur du packaging, elles trouvent un message du créateur qui leur propose d’être plus impliquées et au courant des actualités. Celle qui a travaillé 27 ans avec le styliste français se souvient : « Il a pu casser les codes parce qu’il ne s’entourait pas de personnes issues du marketing mais plutôt de journalistes, de designers etc. Rien n’était impossible. C’est un homme qui n’avait pas de limites et qui n’en acceptait aucune. Il le disait lui-même : “ma mesure, c’est la démesure“ ».
Le créateur souhaitait que les femmes portant Angel aient une puissance et une forme de beauté animale, qu’il recherche jusqu’au choix des égéries. Le meilleur exemple ? « Jerry Hall, la femme de Mick Jagger à l’époque, qui avait un visage angélique mais une sensualité démoniaque. » Lui succèdent Eva Mendes, Naomi Watts, et bien sûr sa propre fille : Georgia May Jagger. Au sujet de Jerry Hall, Mugler racontait : « Son visage m’a toujours fasciné. C’est l’un des plus beaux que je connaisse, elle a une classe, un humour qui font d’elle une “vraie personne”. Son glamour ne s’épanouit pas qu’en image, il est présent dans tous les instants de sa vie. Jerry est à la fois impressionnante comme une statue et désirable comme un sex-symbol. Quand je l’ai revue en personne, avec son charisme, son physique élégant, racé, Jerry Hall s’est immédiatement imposée ; Angel, c’est elle ».