Nichée dans le très chic 1er arrondissement de Paris, la petite boutique toute de pierres et de lin fourmille de clients. Plusieurs passants s’arrêtent devant la vitrine, surpris par l’objet mis en valeur : la brosse à cheveux. Difficile d’imaginer un magasin entier dédié à cet objet si banal… Pourtant, forte de son succès, La Bonne Brosse vient d’ouvrir une deuxième adresse non moins prestigieuse, à deux pas des Champs-Élysées. Elle multiple également les collaborations avec des marques de luxe, comme récemment Augustinus Bader ou encore Bonpoint, avec un modèle adapté aux enfants.
Une croissance fulgurante du marché
C’est que la marque, née en 2022, s’est installée dans un contexte plus que favorable. En 2024, le seul marché de la brosse à cheveux et du peigne représente 4,5 milliards de dollars dans le monde. Les experts financiers s’accordent même sur une croissance de 7 à 8 % par an jusqu’en 2030. Dernier exemple en date : en décembre, le géant Bic a acheté Tangle Teezer, la marque de brosses démêlantes sans manche à la technologie brevetée, après que son chiffre d’affaires a doublé en moins de quatre ans. « Depuis 2021, on peut revendiquer 15 % de croissance par an, et ça ne se tarit pas pour 2025 ! », se réjouit Thomas Villeneuve, directeur de l’Artisan Brossier.
Dans le café d’un hôtel parisien, où il nous a donné rendez-vous, le dirigeant revient sur l’histoire de leur atelier breton ouvert en 1805, l’un des derniers du genre dans l’Hexagone. Après l’âge d’or du XIXe siècle où la France et l’Europe sont réputées pour leur savoir-faire dans la création de tout ce qui compose un nécessaire de toilette, la mondialisation redistribue les cartes au profit de l’Asie et ses prix imbattables. Ses brosses en plastique inondent le marché français. « Mais on sort de cette ère du jetable, à vouloir des produits qu’on change régulièrement », veut croire Thomas Villeneuve.
« Les grands-mères, qui choyaient leur Mason Pearson, expliquaient qu’il faut se brosser les cheveux matin et soir… et elles n’avaient pas tort. Le retour de la brosse à cheveux haut de gamme s’accompagne de celui des poils de sanglier. Jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas trouvé mieux », résume le dirigeant. Comme le cheveu, le poil de sanglier est composé de kératine, un moyen efficace pour répartir le sébum, présent aux racines, jusqu’aux longueurs et les hydrater naturellement, sans masque ou après-shampooing. L’entreprise artisanale Altesse Studio qualifie ainsi ses brosses comme « haute couture et miraculeuses ».
Pourquoi ce regain d’intérêt soudain pour les modèles à poils ou à picots ?
Pendant la pandémie, on a pris conscience de l’importance de prendre soin de soi. Si cet élan s’est appliqué d’abord à l’alimentation et au skincare, il a touché ensuite notre cuir chevelu, que l’on veut désormais chouchouter. Les nouvelles brosses s’inscrivent aussi dans une soif de retour à l’essentiel, car elles permettraient de se passer de tous les produits qui encombrent nos douches et baignoires. Un geste économique et écologique, donc.
Fabriquant les brosses en partie ou en totalité en France et à la main, de nombreuses marques affichent ainsi leur engagement pour des matériaux de haute qualité, issus de circuits courts ou de filières gérées de manière écoresponsables. Le tout, accompagné, comme pour les cosmétiques, d’un diagnostic de cheveux personnalisé et gratuit, pour trouver la brosse de votre vie. « À terme, comme pour les produits de beauté, les utilisatrices sauront ce qui leur va et ce qui leur plaît, mais on est encore dans cette phase où elles ont envie d’être guidées », analyse Thomas Villeneuve, qui déclare que 35 % des clientes de l’Artisan Brossier passent par le questionnaire avant de faire leur achat en ligne.
Des utilisatrices prêtes à investir
Même son de cloche du côté de La Bonne Brosse, où neuf clientes sur dix arriveraient en boutique avec les résultats de leur diagnostic, selon Alix Gueury, attachée de presse de la marque. Autre facteur primordial de ce boom : le marketing. Un domaine dans lequel La Bonne Brosse a excellé, permettant de (re) mettre sur le devant de la scène, les bienfaits d’un bon brossage… et d’un bon accessoire. « Le brossage, on en fait tout un plat, assume la communicante. Live et storys Instagram, community manager très présent pour répondre aux questions des internautes, newsletter, blog… Le message passe ! », se réjouit-elle.
Si bien, que les utilisatrices sont prêtes à investir. Parce qu’un produit et un service de luxe a un prix. Comptez entre 140 euros à La Bonne Brosse – le prix de deux ans de recherches menées avec un pool d’experts : dermatologues, coiffeurs, médecins esthétiques et acupuncteurs – et 350 euros chez Altesse Studio, pour un objet 100 % fait main.
Une demande végane qui explose
Même les marques de haute couture s’y mettent : Balenciaga, Celine, Guerlain… L’irréductible Artisan Brossier prend le contre-pied de ce monde du luxe. « On ne cherche pas à rendre notre marque exclusive ou snob, ce qu’on n’investit pas dans le marketing, on le met dans nos produits pour les proposer à des prix accessibles », dit Thomas Villeneuve. Comptez ainsi moins de 35 euros pour un grand format. « Peu de choses ont changé entre la brosse du XIXe siècle, et celle que vous avez devant vous », affirme-t-il, en nous tendant un modèle en poils de sanglier et coussin rouge, leur best-seller. « L’innovation est dans la qualité des matériaux, mais on n’est pas la Nasa », rit-il.
Pourtant, petit à petit, les marques de brosses se diversifient pour s’adapter à la demande… et rester rentables ; une brosse qui dure toute une vie n’est pas un business plan viable très longtemps… Depuis 2024, la demande végane explose, et les artisans brossiers s’en emparent. Idem pour les gammes bébé, voyage, peignes… La Bonne Brosse commercialise même une collection pour chiens, avec trois têtes différentes, adaptées aux poils de votre meilleur ami. Voilà qui décoiffe.