C’est bien beau de placer son argent, mais savez-vous exactement où il est rangé, une fois que vous ne l’avez plus dans votre portefeuille ?
Le mécanisme, sur le papier, est relativement simple : l’argent dont vous n’avez pas besoin dans l’immédiat est utilisé pour financer des projets qui ont, eux, besoin de ces liquidités.
Vous êtes donc actionnaire d’une multitude de projets, d’entreprises, d’organisations… Vous en connaissez peut-être certaines, mais pour la majorité, vous n’en connaissez ni l’identité, ni l’activité.
Alors comment lire entre les lignes d’un contrat d’assurance vie, ce qui se cache derrière un livret réglementé et surtout être sûr que l’usage de votre argent est aligné avec vos valeurs ?
Livret A, LDDS : pas si neutres qu’on le pense
On les appelle livrets « réglementés ». Le Livret A et le LDDS (Livret de Développement Durable et Solidaire) sont défiscalisés, garantis par l’État, et présentés comme les garants d’une épargne « tranquille ». La facilité avec laquelle vous disposez de ces fonds pourrait laisser penser que votre argent reste quasiment dans votre poche. Mais en réalité, ils ont aussi un impact.
Une partie des fonds collectés via le Livret A (environ 60 %) est centralisée par la Caisse des Dépôts et Consignations. Cette institution publique utilise ensuite ces ressources pour financer le logement social, la rénovation thermique des bâtiments, les hôpitaux… Bref, un usage plutôt vertueux, même s’il reste globalement opaque.
Le LDDS, lui (anciennement Codevi), a pour but de collecter des fonds pour financer des petites et moyennes entreprises, la transition énergétique et l’économie sociale et solidaire.
Ces deux livrets ont donc, en apparence, des intentions louables. Cependant, ce qu’on ignore souvent, c’est que les 40 % restants sont conservés par les banques. Ces dernières sont elles aussi supposées flécher ces fonds vers des financements vertueux : financement de la rénovation énergétique, développement des PME, ESS…
Cependant, des critiques émergent régulièrement pour dénoncer le fléchage approximatif vers ces causes et l’absence d’une traçabilité fine. Il est donc très difficile de savoir précisément où va l’argent que vous y déposez.
L’assurance vie : un support à analyser de près
Dans les coulisses d’une assurance vie, votre argent travaille aussi. Et selon les supports choisis, il peut nourrir des industries fossiles aussi bien qu’il peut financer des énergies renouvelables. Pour le savoir, voici quelques pratiques que vous pouvez adopter :
Tout d’abord, sachez que l’argent placé dans cette enveloppe est généralement réparti sur différents supports, que vous pouvez identifier grâce à une lecture attentive de votre relevé annuel. Premier pilier de ce contrat : le fonds en euros.
C’est la partie la plus rassurante de l’assurance vie, car elle offre une garantie en capital. L’assureur s’engage à ce que vous ne perdiez pas un centime de votre mise initiale. En contrepartie, le rendement est modeste, généralement autour de 2 à 2,5 % ces dernières années (avec parfois des boosters pouvant aller jusqu’à + 2 points).
Mais que finance réellement ce fonds ? Essentiellement des obligations d’État ou d’entreprises, parfois quelques actifs immobiliers ou monétaires. Or, la composition exacte est rarement détaillée. Une obligation peut très bien provenir d’une entreprise pétrolière, d’un constructeur automobile polluant ou d’un État peu soucieux de son empreinte carbone.
Le fonds en euros est donc sûr sur la forme, mais flou sur le fond. Il convient parfaitement à celles et ceux qui veulent une partie de leur capital sécurisé, mais il ne permet pas toujours de maîtriser l’impact écologique de ses placements.
Pour donner plus de sens à votre assurance vie, il est donc souvent pertinent de compléter ce fonds en euros par des unités de compte. Ces unités de comptes correspondent à des fonds, qui peuvent contenir des actions, des obligations ou même de l’immobilier. On distingue les fonds gérés activement des fonds de gestion passive, communément appelés ETF.
Si vous souhaitez identifier des fonds qui investissent dans des entreprises vertueuses, le plus simple est de vous fier à des labels comme Greenfin, ISR ou Finansol.
Le label ISR (Investissement Socialement Responsable) repose sur des critères ESG — Environnement, Social, Gouvernance — mais son exigence varie. Certaines entreprises du CAC 40 très critiquées y figurent encore, car elles cumulent des activités en faveur de la transition énergétique et des activités destructrices de l’environnement…
Or il est quasiment impossible de s’assurer que vos fonds sont alloués aux premières plutôt qu’aux secondes. En revanche, le label Greenfin, créé par le ministère de la Transition écologique, exclut strictement les énergies fossiles, le nucléaire, et les activités destructrices de biodiversité. Il identifie des fonds engagés exclusivement dans la transition énergétique.
Quant au label Finansol, il distingue les produits d’épargne solidaire, finançant par exemple le logement social écologique ou l’agriculture paysanne.
Le réflexe à adopter : demander la fiche détaillée de chaque fonds (le fameux DIC, document d’information clé), et scruter les entreprises qu’il détient, ses secteurs d’activité, son score ESG ou son empreinte carbone. Une plateforme comme Novethic.fr peut vous aider à trier les bons élèves des simples opportunistes.
Vous l’avez compris, tracer vos investissements implique une vigilance constante. Il existe cependant deux moyens de faciliter ce suivi :
Investir en direct dans des entreprises engagées : plus de clarté mais aussi plus de risque
Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, une autre voie s’ouvre : celle de l’investissement en direct dans des entreprises, y compris non cotées. On parle alors de private equity (si vous achetez une part du capital) ou de dette privée (si vous devenez créditeur de la société). Il peut s’agir de startups, de PME, de coopératives, etc.
Là, plus besoin de label : vous voyez concrètement l’équipe, le projet, l’impact. Vous devenez co-propriétaire. L’expérience est plus incarnée, plus humaine, souvent plus passionnante aussi.
Mais cette approche demande de la vigilance. Le risque de perte en capital est plus élevé qu’en assurance vie ou livret réglementé. Ces entreprises sont jeunes, leur avenir est incertain, et leur capital n’est pas liquide : il faudra parfois attendre plusieurs années avant d’espérer revendre vos parts.
L’intermédiaire consiste à passer par des sociétés de gestion sur les marchés privés, qui vont créer des fonds, investissant eux-même dans plusieurs entreprises. En plus de la thèse d’investissement du fonds, vous pouvez vous appuyer sur la liste des sociétés financées et donc avoir une bonne connaissance de l’usage de votre argent, tout en portant un risque un peu plus faible puisque réparti entre plusieurs entreprises. Cependant, le risque d’illiquidité et de perte en capital, lui, demeure.
Banques responsables : prendre le problème à la racine ?
Parfois, pour s’assurer d’avoir une gestion financière alignée avec vos valeurs, il est préférable de choisir le bon gestionnaire plutôt que les bons placements. En effet, si vous partagez les mêmes valeurs, il est plus probable que vous n’ayez pas de mauvaises surprises dans l'usage qui est fait de votre argent.
C’est pourquoi de plus en plus d’épargnants se tournent vers des établissements engagés. Des banques comme La Nef, des néo-banques comme Helios ou Green-Got ou encore des plateformes d’investissements comme Goodvest, refusent d’investir dans les énergies fossiles et choisissent de soutenir une économie plus alignée avec les enjeux sociaux et environnementaux.
L’argent est un levier de pouvoir. Celui d’aligner vos moyens et vos convictions. Et c’est, peut-être aussi comme cela qu’il est possible de retrouver un sens à l’acte d’épargner.