La scène qui a tout changé s’est déroulée dans le bus : « J’ai pris le bus exactement comme d’habitude après le travail. C’est-à-dire que j’ai été polie avec tout le monde et que je me suis mise debout, à un endroit où ça n’allait gêner personne. Ensuite, je me suis mise à écouter de la musique, pas trop fort. Au bout de deux stations, j’ai vu une vieille dame entrer dans le bus. Elle n’avait pas de place assise, donc j’ai espéré que quelqu’un se lève pour l’aider. Personne ne l’a fait. Elle avait du mal à tenir debout dans les virages et quand le bus freinait, c’était dangereux pour elle. J’ai fini par demander à un jeune homme de se lever. Je l’ai fait en restant très polie, souriante, en m’excusant de demander un tel service. Il a pris de longues minutes pour bouger.
Et, quand la dame s’est finalement assise, j’ai entendu que quelqu’un faisait une réflexion sur le fait qu’elle n’aurait pas dû sortir du tout. La vieille dame s’est excusée à la cantonade. Le climat est resté hostile. Elle a fini par se mettre à pleurer. Quand elle est sortie du bus, je me suis juré de ne pas devenir cette vieille dame, qui s’excuse d’exister et que les gens malmènent parce qu’elle est trop gentille. »
« Je prends toute la place que je mérite »
Céline apprend à poser ses limites : « Après des années à attendre que tout se règle, que les choses soient parfaites, que je sois à ma place, j’ai décidé qu’il était temps d’arrêter de me laisser faire, d’écouter cette petite voix qui me disait toujours "tais-toi" ou "fais comme si ça ne te dérange pas". Aujourd’hui, je dis non quand quelque chose ne me plaît pas, je parle fort si j’ai besoin d’être entendue ou simplement pour exprimer ce que je ressens, même si ça peut choquer certains. Je m’assois où je veux, je ris quand j’en ai envie, je prends toute la place que je mérite.
En fait, cette revanche sur moi-même, elle n’a pas été immédiate. J’ai longtemps été celle qui évitait les conflits, celle qui se pliait en quatre pour éviter de passer pour la difficile. Pendant très longtemps, j’avais peur de déplaire, peur d’être vue comme trop forte ou trop exigeante. J’avais intégré cette idée qu’il fallait faire en sorte que tout le monde soit content, même si ça signifiait me taire ou renoncer à mes envies. Mais peu à peu, j’ai compris que cette vie de "bonne élève" ou d’ombre derrière les autres ne me convenait en fait pas. »
« J'ai parlé plus fort que d'habitude, c'était comme une libération »
Elle se rappelle de son premier vrai « non » : « Il est venu lors d’une réunion de famille, lorsque ma sœur a voulu que je me dépêche de finir mon discours pour laisser la parole à tout le monde. Je voulais vraiment mettre les choses au clair sur un sujet qui me tenait à cœur, mais j’ai hésité. Et là, dans une spontanéité que je ne me connaissais pas, je lui ai dit : "Non, cette fois, c’est moi qui parle." J’ai levé la voix, j’ai parlé plus fort que d’habitude, et j’ai dit tout ce que je ressentais. C’était comme une libération. Je ne voulais plus me laisser marcher sur les pieds.
Ce petit "non" là, il a commencé à changer beaucoup de choses dans ma vie. J’ai commencé à poser des limites, à dire ce qui me dérange, même si ça ne plaît pas toujours. Par exemple, au boulot, je n’accepte plus qu’on me donne des tâches en plus sans reconnaissance. Dans mon couple, je ne me contente plus de faire semblant d’aller bien quand je ne vais pas bien. Je parle aussi fort quand une parole ou un comportement me blessent. Je ris plus fort, je prends la parole quand j’en ressens le besoin, même si ça remet en question le "moule" dans lequel j’étais jusque-là. »
« Ma nouvelle liberté »
En prenant sa place dans le monde, elle prend aussi de plus en plus confiance en elle : « Je commence à prendre des décisions pour moi, sans me sentir coupable. Je m’autorise à prendre du temps pour moi, à faire des choses simplement parce que ça me fait plaisir, pas parce que j’en ai besoin pour faire plaisir aux autres. La dernière fois, je suis allée à un concert seule, en mettant tout ce que je voulais dans mon sac : mon plaisir, ma liberté. J’ai ri, je me suis sentie vivante, et je me suis dit que c’était ça, la vraie vie : une série de choix que je fais pour moi.
Ce processus n’est pas fini, mais je sens que j’ai commencé une vraie révolution intérieure. Je suis encore parfois intimidée, encore un peu hésitante, mais chaque petite victoire me donne confiance. Maintenant, je sais que je mérite d’avoir ma place, de dire non si quelque chose ne me convient pas, et de m’exprimer sans me censurer. C’est ma nouvelle liberté, celle que j’ai enfin décidé d’adopter. Et je n’ai qu’une envie : continuer à avancer, à m’affirmer, pour être enfin la femme que je veux être, pas celle que j’ai toujours laissée être par peur ou par souci de faire plaisir. Aujourd’hui, je suis celle qui ose, celle qui assume, et ça, c’est inestimable. »