ELLE. - La loi qui crée un droit à l’aide à mourir a été adoptée mardi dernier à l’Assemblée. C’est l’aboutissement d’un combat que vous menez depuis plus de dix ans. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Olivier Falorni. - Tout d’abord, l’ampleur de la majorité. J’espérais en mon for intérieur que le texte puisse recueillir la majorité absolue, soit 289 voix. Mais je me disais que ce serait difficilement atteignable. Et nous avons eu les voix de 305 députés ! Je n’imaginais pas un tel résultat, une telle différence entre partisans et opposants.
Et tout au long du débat parlementaire que nous avons eu, j’ai eu la grande satisfaction de constater, et je n’étais pas le seul, que ce débat que l’on nous prédisait agressif et violent, ne l’a finalement pas été. La surprise, c’est que cette Assemblée nationale post-dissolution souvent incontrôlable et incontrôlée, au sein de laquelle on ne sait pas s’écouter et encore moins s’entendre, a fait preuve à cette occasion de responsabilité et de dignité. La gravité du sujet en est bien sûr une des raisons.
Néanmoins, quand vous regardez l’histoire parlementaire française, l’Assemblée nationale n’a jamais su débattre des sujets de société avec pondération. J’ai vécu, comme député, les débats sur le mariage pour tous. La violence verbale, l’outrance y avaient été insupportables. Et j’ai lu les comptes-rendus des débats sur la loi Veil. Cela avait été abominable ! Des députés avaient reproché à Madame Veil de créer des « centres d’extermination d’embryons », elle, la rescapée d’Auschwitz !
Et là, nous avons eu un débat apaisé où chacun a pu exprimer ses convictions, en liberté et en conscience. Ce fut un beau et grand moment de la vie parlementaire. Et je sais que les Français l’ont apprécié.
ELLE. - Comment expliquez-vous cette atmosphère pour les débats ?
O.F. - Il y a eu, c’est le moins que l’on puisse dire, une longue maturation. Ma première question au gouvernement sur l’aide à mourir, je l’ai posée en 2013. La première proposition de loi sur cette question date de 1978 !
Nous avons eu aussi une convention citoyenne sur la fin de vie qui a réalisé un travail important et largement diffusé. La société française parle de ce sujet depuis fort longtemps. Les députés, dans leurs circonscriptions, ont été amenés à rencontrer beaucoup de leurs concitoyens qui leur parlaient de la fin de vie. Ce sont toujours des situations personnelles, des parcours intimes et souvent douloureux qui appellent à la retenue.
Il est difficile, même si on n’est jamais à l’abri des dérapages, d’être dans l’agressivité quand on sait que l’on parle aussi à des personnes qui peuvent être blessées ou heurtées par des propos indélicats.
On a parfois frôlé la ligne rouge de l’outrance mais elle n'a jamais été véritablement franchie. Heureusement.
Peut-être aussi faut-il remarquer qu’il s’agit d’un sujet transpartisan. Aucun groupe parlementaire n’avait donné de consigne de vote. Et donc la modération était de mise. Il y avait, au sein de chaque groupe, des « contre » et des « pour ». Être dans l’outrance, c’était forcément être dans l’outrance vis-à-vis de ses propres collègues qui pensaient différemment de soi. Cela a aussi contribué à apaiser.
En tant que rapporteur général, j’ai essayé d’adopter de la mesure, du calme dans le ton. Je me suis efforcé de répondre sur le fond à des milliers d’amendements. Avec le plus de sérénité possible…
ELLE. - Il reste une inquiétude sur le « délit d’entrave ». Beaucoup considèrent que c’est en contradiction avec la liberté de conscience.
O.F. - L’article 17 qui prévoit le délit d’entrave pour le droit à l’aide à mourir est un copier-coller du délit d’entrave sur l’IVG. Pendant des décennies, des groupes, des associations, des personnes de façon parfois violente ont tout fait pour empêcher que des femmes aient recours à l’IVG. Ils s’enchaînaient devant les cliniques qui pratiquaient l’avortement, ils jetaient des seaux de sang sur les établissements de santé. Des femmes subissaient des pressions morales, psychologiques et parfois physiques pour qu’elles n’aient pas recours à une IVG. C’est pour cela que le délit d’entrave a été créé.
Quand j’entends les cris d’orfraie qui voudraient laisser penser que nous avons créé un délit d’entrave attentatoire aux libertés, je le redis : ce délit d’entrave existe depuis plus de 30 ans dans la loi française ! Que je sache, aucune personne hostile à l’IVG n’a été bâillonnée. Ceux qui y sont défavorables peuvent le dire. Et il en sera de même pour l’aide à mourir.
Nous voulons seulement que les malades en fin de vie qui auront demandé une aide à mourir et qui l’auront obtenue, à la suite de la procédure collégiale médicale, puissent y accéder. Sans subir d’entrave, sans empêchement physique ou pression psychologique.
En aucun cas, il n’y aura de sanctions contre ceux qui essaieraient de convaincre ou d’expliquer pourquoi ils n’y sont pas favorables. C’est une fausse polémique, complètement artificielle et totalement surjouée.
Nous devons avoir un peu de mémoire. L’expérience du passé nous a montré que l’intolérance a tenté pendant des décennies d’entraver la liberté des femmes d’accéder à l’IVG. Le rôle des législateurs, c’est aussi de s’assurer que le droit et la loi soient respectés.