Pour la première fois, Cédric Klapisch va monter les marches du Palais des festivals avec toute l’équipe de son film « La Venue de l’avenir ». Ce long-métrage, hors compétition, est un voyage dans le temps, fait d’allers-retours entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui.
Suzanne Lindon, visage d’une époque en transition
Point de départ ? Une famille hérite d’une maison en Normandie et, avant de la vendre, quatre cousins sont chargés d’en faire l’inventaire. À travers des photos, des tableaux qu’ils dénichent parmi les toiles d’araignée, c’est un fabuleux travail de recherche sur leur histoire familiale qu’ils opèrent. La figure centrale se nomme Adèle, une jeune femme illettrée qui a quitté sa Normandie à 20 ans pour Paris, ville en pleine mutation industrielle et culturelle. Le chemin de fer, Félix Nadar, les impressionnistes…
Ce portrait d’une femme à la fois témoin et actrice de son temps est incarné par Suzanne Lindon, qui avait débuté dans « Seize printemps » (sa première réalisation) et dans la saison 2 de « En thérapie », sous le regard d’Arnaud Desplechin.
En plein tournage du prochain Gustave Kervern, elle revient pour nous sur son expérience avec le réalisateur de « L’Auberge espagnole ».
ELLE. - Que représente Cédric Klapisch pour vous ?
Suzanne Lindon. - J’ai eu la chance de voir ses films très tôt. Il fait partie de ma cinéphilie inconsciente. Son travail a une dimension populaire, mais c’est du cinéma d’auteur. C’est lui qui m’a donné envie de m’engager dans ce métier. Je me souviens de son premier film, « Riens du tout », que j’avais adoré. Il me faisait penser à un Rubik’s Cube : au début, tout est désordonné et, finalement, tout prend sa place.
« Les Poupées russes » reste aussi dans ma mémoire. Notamment la scène sur un quai de gare avec Romain Duris et Kelly Reilly : il va rejoindre une autre fille et elle le sait car elle a tout compris. Je me suis dit que Cédric savait explorer l’âme humaine, ses émotions, sa complexité. J’y pense souvent.
ELLE. - « La Venue de l’avenir » est son premier film en partie en costumes. Comment vous êtes-vous accaparé le personnage d’Adèle ?
S.L. - En fait, je me suis rendu compte que Cédric Klapisch était un réalisateur de films d’époque. Quand il tourne « Le Péril jeune », il raconte une époque. Quand il réalise « L’Auberge espagnole », il en raconte une autre. Dans son dernier long, il établit des ponts entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui, et il parle toujours de la jeunesse. Quand on est un jeune acteur ou une jeune actrice, être choisi(e) par lui, c’est se dire qu’on va être le porte-parole de quelque chose de moderne.
Adèle est en quête, elle veut se trouver, comprendre d’où elle vient. Elle déborde de jeunesse, de désir de vie et surtout de détermination. Elle peut être réservée, mais elle n’est pas fragile. Elle répond à des questions que je me pose aujourd’hui sur le fait d’aimer, d’identifier ce qui me va ou ne me va pas. Elle est une femme émancipée, libre, responsable et digne. Certes, elle porte corset et robe serrée à la taille, mais je ne l’ai pas vécu comme une prison. Simplement une impulsion pour me permettre de trouver la bonne note et arriver jusqu’à elle.
ELLE. - Vos partenaires, Paul Kircher et Vassili Schneider, sont comme vous des enfants de la balle. Est-ce que cela vous a rapprochés ?
S.L. - Rien à voir. Je pense que c’est l’admiration pour notre travail respectif qui a fait que l’on s’est bien entendus. Nous sommes amis depuis la fin du tournage. Paul Kircher suit son parcours, en marge de sa famille. Je dis toujours qu’il est une comète tombée du ciel. Idem pour Vassili Schneider. Il a forgé son chemin de manière indépendante.
Dans le film, nous avons de nombreuses scènes ensemble, notre complicité devait être palpable à l’écran. Je me souviens, à la fin d’une journée d’essais, on est parti tous les trois boire un verre. Il pleuvait à Paris ce jour-là. L’un a ouvert son parapluie, l’autre m’a couverte avec sa veste. Cédric nous a regardés au loin. Il a compris qu’il tenait son trio infernal.