Il a ce charme et cette dégaine qui le font ressembler à un garçon plutôt qu’à un homme. Pourtant, « La Fresque » est déjà le huitième album de la carrière d’un artiste béni, l’envers heureux d’un artiste maudit. Il y a de la joie dans les airs et les mots de Vincent Delerm, héritage peut-être de son père, Philippe, auteur entomologiste des bonheurs minuscules, et de sa mère, Martine, dessinatrice des plaisirs invisibles.

« La Fresque » est du Vincent Delerm puissance 1000, ultramélodieux, ultrasensible, baroque parfois, transportant souvent, splendide album sur ce qui nous relie, nous émeut, nous donne le sentiment grisant d’être vivants. On y croise les «  Friends » Ross et Rachel, les amoureux Andie MacDowell et Hugh Grant, Louise Ciccone et Emmanuel Carrère, on y découvre ses affections, ses émotions. « La Fresque » pince le cœur lorsqu’il évoque des disparus, transporte mine de rien. Comme disait Carver, des vitamines du bonheur.

ELLE. - « En fait, on est plusieurs à se faire transpercer le cœur. Plusieurs millions d’âmes sœurs », chantez- vous. Ensemble, c’est mieux ?

Vincent Delerm. - Pendant longtemps, si on m’avait demandé ma préférence entre retrouver des potes et écrire seul à mon piano, j’aurais choisi la solitude. Les années passant, j’ai senti comme une urgence à dire aux gens qui comptent pour moi que je les aime. Ce qui nous fait de l’effet dans la vie, c’est rarement lié à la météo ou à une super chambre d’hôtel, c’est toujours lié aux autres.

ELLE. - D’où cette fresque, collage d’une centaine de visages de votre paysage sentimental, comment les avez-vous choisis ?

V.D. - Je les ai (presque) tous photographiés et je suis toujours en contact avec eux. Des gens que j’aime, tout simplement. Il y a le bassiste de mon groupe au lycée, la dame qui m’a appris à jouer du piano à 16 ans, Bruno Marie-Rose, un sprinteur des années 1990 à qui j’avais demandé un autographe, mon arrière-grand mère, que je n’ai pas connue mais qui est un monument dans la famille. Elle était ouvreuse à La Cigale et lorsque mon grand-père était petit, il venait s’asseoir dans la salle, le jeudi, en attendant qu’elle ait terminé son service. Plus tard, il s’asseyait à la même place, à La Cigale à mes concerts. Ou encore Alain Souchon et des amis de mes parents quand j’étais petit, le passé n’est pas défunt pour moi, il se superpose au présent.

ELLE. - Vous avez aussi écrit une chanson sur la transmission : faut-il faire croire à nos enfants que la vie est un champ de roses ou un champ de ronces ?

V.D. - Je me pose la question, je n’ai pas de réponse. La nuit du Bataclan, je me revois avec ma compagne : qu’allait-on dire à nos fils au petit déjeuner ? De façon plus générale, je ne pense pas qu’il faille se complaire dans les quatre sujets du moment montrés par les chaînes d’info. La mission des gens qui créent, c’est de donner à voir les choses autrement. Par exemple, j’aime beaucoup le regard de gens fantaisistes comme Alex Lutz ou Vincent Dedienne.

À l’échelle d’un concert, je me sens une responsabilité. Donner du jus, de l’énergie, des vitamines aux gens qui ont fait l’effort de venir. J’aime célébrer, mine de rien, je suis vraiment un mec assez positif ! Je n’ai pas d’autres ambitions que de faire des choses qui touchent, de créer une émotion, ou une vibration, qui transmettent le sentiment d’être vivants. Sans pour autant agiter un grand drapeau qui dirait : c’est maintenant, il faut en profiter !

« La fresque », de Vincent Delerm (à La Cigale, du 21 au 25 octobre et du 18 au 22 novembre).